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Eliya Waiche

Méthodologie de travail O.D.S., Droit & Philosophie

Comment forcer la police à prendre votre plainte

COMMENT FORCER LA POLICE À PRENDRE VOTRE PLAINTE

 

Bonjour à tous, et bienvenue.

    Quand j’ai entamé la rédaction d’articles de droit sur mon blog, je désirais me revêtir des atours traditionnels et respectables de la matière. Je me suis promis de me tenir loin des controverses, des pamphlets, des critiques militantes et autres croisades intellectuelles. Je voulais m’en tenir exclusivement à un travail de fond, avec un ton neutre et sérieux pour seule caractéristique. 

Je désire toujours poursuivre cet objectif, mais je réalise qu’il m’est impossible de rédiger cet article ainsi. J’ai essayé mais le « petit Voltaire » en moi susurre à mon oreille : « Le pamphlet ! La satyre ! L’ironie mordante !!… ». Je vais donc laisser au tiroir mon haut-de-forme et ma canne pour enfourcher Rossinante, m’armer de tout l’esprit qui voudra bien me venir, et procéder à un pilonnage d’arguments en règles.

Comme toujours je suis joignable sur Messenger et WhatsApp à mon nom Eliya Waiche. Bonne lecture !

Nous connaissons tous quelqu’un (quand ce quelqu’un n’est pas simplement « vous ») qui a « essayé » de déposer plainte, et qui a été éconduit par les policiers. Le plus extraordinaire dans cette situation est le rapport asymétrique entre d’une part le drame sur le plan individuel, juridique et philosophique et d’autre part sur le plan national personne n’en parle jamais !

L’alinéa 1 de l’article 15-3 du Code de procédure pénale prévoit :

 « Les officiers et agents de police judiciaire sont tenus de recevoir les plaintes déposées par les victimes d’infraction à la loi pénale, y compris lorsque ces plaintes sont déposées dans un service ou une unité de police judiciaire territorialement incompétents. »

L’alinéa 2 ajoute :

«  Tout dépôt de plainte fait l’objet d’un procès verbal et donne lieu à la délivrance immédiate d’un récépissé à la victime… Si elle en fait la demande, une copie du procès-verbal lui est immédiatement remise. »

Vous avez bien lu, la loi est très claire, les policiers n’ont pas le droit de refuser votre dépôt de plainte. Les situations de refus sont donc toutes illégales, et les policiers qui en sont responsables engagent leurs responsabilités juridiques.

Les avocats, qui sont le premier et le meilleur rempart contre l’arbitraire de situations juridiques injustes, ne communiquent pas à ce sujet. Pourtant ce thème mériterait que le Conseil de l’Ordre des Avocats s’en empare. Il dispose de la légitimité intellectuelle, de la force de frappe médiatique et de sa très longue et auguste tradition de combats pour la démocratie.

Je ne comprends pas qu’en 2021 nous en soyons encore là. Il y a 60 000 avocats en France, 30 000 rien qu’en région parisienne, la profession est organisée, il y a des bataillons de milliers d’avocats pénalistes, et c’est comme si une « Omerta » pesait sur la France. C’est aux « sachants », ceux qui ont le savoir et l’expérience, de prêter la main à leurs concitoyens, fragilisés par leur ignorance des lois.

Je ne suis pas amateur des Évangiles, néanmoins la fameuse citation du chapitre 8 de Saint Jean s’applique parfaitement : « La vérité vous rendra libre ». Si tout le monde connaissait le droit, ou même si un seuil critique de citoyens avertis était franchi, le problème disparaîtrait ; de même si une indignation assez grande montait dans l’opinion publique.

Cet article répond à cette situation scandaleuse, où je vous expliquerai pourquoi nous en sommes là (I) et surtout comment y remédier (II) en forçant les policiers à prendre vos plaintes.

I. Pourquoi les policiers refusent les plaintes 

    Les causes sont multiples mais elles sont bien connues et aucune n’est très glorieuse. La principale et la pire est la « politique du chiffre » (A), une autre est la politique pénale (B) déficiente de notre État, et la dernière est la paupérisation de la justice (C). Nous verrons également que la plainte en ligne (D) ne résout rien.

A. La « politique du chiffre »

    La France n’a pas de pétrole mais elle a des idées. L’administration française contre qui la cohérence logique rend les armes a inventé la « nationalisation de la délinquance » (1) qui viole les droits des plus faibles et les marque durablement (2).

1. Le concept de nationalisation de la délinquance 

    L’administration française, à défaut d’avoir les moyens de traiter les plaintes, s’est doté de ceux de faire comme si elles n’existaient pas. « Couvrez ce sein, que je ne saurais voir » comme Molière le faisait dire à  Tartuffe.

Les policiers ont été enclins depuis longtemps pour de (mauvaises) raisons à ne pas accepter les plaintes, mais la situation a connu une très grave aggravation pendant le mandat du Président Nicolas Sarkozy. Il y a toujours plus ou moins eu des circulaires et des quotas indiqués aux policiers, mais c’est le Président Sarkozy qui a accru ce phénomène et ses successeurs l’ont depuis empiré.

Les commissariats reçoivent des quotas d’infractions à remplir. Si les délinquants qui s’en sont pris à vous n’ont pas eu la bonne idée de choisir une de ces catégories, votre plainte ne rentre pas dans la bonne case. Donc vous ferez « perdre leur temps » aux policiers qui ne pourront pas « enquêter » sur les « bonnes infractions », et la comptabilisation ne satisfera pas leur hiérarchie.

Cette situation rappelle une déclinaison du modèle quinquennale soviétique prévoyant le plan de production sur 5 ans. Ces plans étaient déjà une belle imbécillité qui a largement contribué à affamer le pauvre peuple de l’Union Soviétique, mais ici l’administration prévoit les résolutions d’infractions dont la France aura besoin. Les fonctionnaires français ont inventé la nationalisation de la délinquance

2. Le déni de justice et l’aggravation du traumatisme des victimes 

    Ce n’est donc plus aux justiciables de rapporter les faits réels délictueux qu’ils subissent, mais c’est à la police de sélectionner ce que le gouvernement a déterminé être le « mieux » pour eux.  Quand aux victimes de délits doublés de dénis de justice, ils n’ont qu’à s’incliner devant le génie des sémillants hauts fonctionnaires et politiciens qui ont donné ces ordres.

Ce déni de justice est très grave juridiquement et philosophiquement. Le contrat social repose sur la confiance du justiciable dans la certitude que ses libertés fondamentales seront protégées ; et que lorsqu’elles sont violées les coupables seront punis. Si cette certitude tombe, il n’y a plus rien qui légitime le « Gewaltmonopol » de Max Weber, le « monopole public de la violence ». Sans cette légitimité, plus rien ne justifie le maintien de l’Etat.

Ce déni de justice est encore aggravé par le fait qu’il procède d’une justice à deux vitesses, où le plus pauvre et mal informé est privé de ses droits les plus basiques, tandis que le mieux nanti passe outre en consultant un avocat.

Le traumatisme judiciaire de la victime est une chose affreuse. Le traumatisme primaire causé par l’infraction est aggravé par la violence institutionnelle des agents de l’État qui violent leurs devoirs et les droits des victimes. Ces injustices cumulées perturbent infiniment la suite de la vie de la victime et mettent plus de temps à guérir.

Evidemment ces quotas répondent à un impératif de « politique pénale » dévoyée.

B. Le dévoiement de la politique pénale 

    La politique pénale sert théoriquement à organiser la stratégie pour défendre la sécurité nationale (1) alors qu’elle sert d’instrument d’influence statistique (2). 

1. La stratégie de défense de la sécurité des français

    La politique pénale exercée par le gouvernement est théoriquement un pilier de la bonne administration de la justice en France. Le ministre de la Justice, aussi appelé Garde des Sceaux, commande à tous les Procureurs de France comment requérir face à certains types d’infractions. Cela permet d’éviter que le Procureur de la République à Paris requiert une sanction différente de celui de Marseille. Cette uniformisation de la politique pénale est synonyme d’équité, elle évite que l’on soit plus sanctionné parce que l’on est au « mauvais endroit ».

La politique pénale sert également en théorie à articuler une bonne stratégie, en joignant les réquisitions du Parquet (autre nom du Ministère Public, des Procureurs de la République) aux autres leviers à disposition du gouvernement : la prévention, les enquêtes et contrôles de police, les réformes des infractions et de la procédure pénale, pour assurer la sécurité des Français.

Mais tout ceci n’est plus que pure théorie, la pratique révèle un dévoiement de la politique pénale de la France.

2. La politique pénale comme instrument d’influence statistique

    Derrière un trucage qui repose sur les bases de calcul (a) se cache un mal bien plus endémique, le remplacement de la gestion du flux criminel (b) au détriment de la vraie justice.

a. Le trucage des bases de calcul

    Je ne me permettrai pas de parler de « trucage des statistiques » parce que cette expression laisse entendre que la rigueur mathématique est violée, ce qui n’est pas le cas. Par contre, la réalité des chiffres est altérée délibérément, on peut donc qualifier cette pratique d’influence des statistiques.

Le gouvernement ne joue pas sur la méthode mathématique en modifiant les résultats, mais il joue sur les données de base qui sont prises en compte. En prenant délibérément le parti de choisir certains faits en détournant le regard d’autres, la sincérité des statistiques est autant altérée que par une tricherie mathématique

En reprenant ma comparaison du « plan quinquennal soviétique » et de la politique pénale en France, les fonctionnaires de la Chancellerie (autre nom donné au Ministère de la Justice) calculent ce que l’on pourrait appeler « le plan de l’évolution annuelle de la délinquance en France ». Ils prennent les chiffres de l’exercice précédent, et ils regardent combien il leur faudrait pour pouvoir brandir une brassée de feuilles avec une amélioration, lors du prochain bilan.

Comme il est impossible de complètement tordre la réalité, ils jouent sur deux facteurs. Ils demandent aux policiers de tout bonnement ignorer ce qui ne rentre pas dans leurs prévisions, et ils demandent aux Procureurs de poursuivre (ou non), certaines infractions dans le cadre de la politique pénale. Les chiffres des « enquêtes résolues » sont eux-mêmes gonflés, par exemple un policier m’a personnellement raconté l’astuce d’un chéquier retrouvé ; chaque chèque a constitué une affaire résolue !

Ces symptômes sont déjà très graves, mais voyons le diagnostique qui se cache derrière ce constat.

b. La gestion du flux criminel a remplacé la vraie justice 

    En France la justice est devenue une affaire de gestion de flux, plutôt que l’authentique réponse pénale dans l’intérêt public. Les places de prison étant cruellement insuffisantes, il est matériellement impossible de sanctionner systématiquement chaque délinquant comme il le mériterait.

De cette contrainte matérielle découle une  inversion du paradigme de la justice, comment assurer un maximum la paix sociale contre le minimum de moyens ? Parce que le personnel judiciaire est lui-même gravement insuffisant en magistrats, greffiers, qui sont totalement submergés. Où sont les priorités ? La priorité est la lutte contre le crime organisé pour le contenir, mais sans ambitionner de le vaincre. Juste ménager un barrage pour éviter trop de mécontentement dans la population, mais sans stratégie victorieuse.

En témoigne l’abandon de quartiers entiers aux trafiquants de drogue, qui depuis parfois des décennies perdure en toute impunité. La paix sociale est aussi achetée par ce prix, car ces quartiers entiers vivent des retombées du trafic de drogue. Marché de dupe, puisque ce système mafieux a un coup social et économique vertigineux, en détruisant la jeunesse et les familles qui y sont soumises. Quelle intégration à la société française est possible quand la loi de la République se détourne volontairement de la tyrannie mafieuse par quartiers entiers ?

Tout ce qui ne rentre pas dans le flux à gérer, dans les chiffres officiels qu’il faudra produire au bilan annuel, est purement et simplement effacé, autant que possible. À chaque étape le cours normal de la justice pénale est chuinté. Les policiers ne prennent pas les plaintes, les enquêtes de police ne donnent aucune suite, le procureur choisit en opportunité de ne pas poursuivre, les juges prennent des sanctions alternatives qui évitent la prison ferme, et même la prison ferme n’est pas exécutée et les condamnés restent libres.

Les conséquences sont très graves. Le procès pénal est le moment de la catharsis qui donne une chance unique de réhabilitation au suspect, qui ne connaîtra aucune autre opportunité en prison de facilité sa réinsertion. Le déni de justice aux victimes et le sentiment d’impunité des délinquants pourrissent de l’intérieur la société française.

Ajoutons que le Ministère de la Justice profite de la mauvaise excuse de la politique pénale pour conserver le contrôle sur la carrière et la discipline des Procureurs de la République au lieu de le transférer au Conseil Supérieur de la Magistrature (C.S.M.). De cette façon le gouvernement a toujours la possibilité de faire pression sur le Parquet, au motif qu’il faut bien mener une politique pénale, alors qu’il suffirait de faire passer l’avis consultatif du C.S.M. en avis contraignants (comme c’est déjà le cas pour la magistrature « assise »), sans aucun dommage pour la politique pénale. 

Nous l’avons vu, la situation est dramatique, et part d’un constat matériel, la paupérisation de la justice.

C. La paupérisation de la justice 

    Nous entrons au royaume de l’absurde et de la gabegie, c’est-à-dire au royaume de Bercy, celui des finances de la France. La France est l’Etat industrialisé qui a le plus fort taux au monde d’imposition de son PIB (Produit Intérieur Brut) 46%.  La France a un budget de fonctionnement très important, avec plus de 100 milliards dédiés aux aides sociales diverses, proportionnellement 100 milliards de plus que les États comparables. En 2007, 2012 et 2017 certains candidats présidentiels de la  droite conservatrice parlaient de diminuer de 50 milliards les aides sociales.

Ajoutons une dette de 116% du PIB (98% avant Covid) et nous tenons le portrait d’un État qui taxe tant son économie qu’il n’a pas de croissance. Ajoutons la réglementation française et européenne d’une complexité abyssale, et un des droits du travail qui complexifie le plus les licenciements, toutes choses qui entravent la création d’emplois. Les licenciements faciles encouragent l’embauche facile, tandis que la protection du contrat du salarié qui travail se fait au détriment de tous les chômeurs, qui le resteront.

La France est à présent engagée dans tant de missions non-régaliennes d’Etat providence qu’elle n’est plus capable d’investir dans ses missions les plus essentielles et vitales. Il serait faux de dire que le gouvernement Français manque de ressources. Il en a trop pour son propre bien en s’endettant et il le dépense mal. Il est pauvre là où il devrait investir et excessivement généreux là où il devrait être rigoureux pour baisser ses charges, et relancer son économie.

Dans cette situation où le Léviathan de Thomas Hobbes se mord la queux et se dévore tout seul, la paix sociale est acheté par un excès d’aides au détriment de la liberté d’entreprendre et de la production de richesse, entraînant tout le monde vers la paupérisation, la misère sociale et  l’injustice pénale.

Le législateur organise un système de plainte en ligne qui ne résoudra rien.

C. Les plaintes en ligne qui ne résolvent rien 

    Il existe un système de pré-plainte en ligne depuis 2013 qui est totalement inutile (1) et un nouveau système de plainte pour 2023 qui sera encore plus inutile (2).

1. L’actuel système qui ne sert à rien

    Le législateur essaie de mettre en place depuis 2008 un système de pré-plainte en ligne, qui est sensé porter tous les espoirs de résolution des problèmes (a). En raison de ses moyens neurasthénique (b) ces espoirs sont vains.

a. La résolution chimérique des problèmes par la plainte en ligne 

    La procédure pénale est sujette à des légendes qui la hante, le fantasme de la technologie qui résorberait d’un seul coup les conséquences de la paupérisation de ses moyens et les insuffisances de ses mécanismes. Il n’en est rien, les miracles de la conversation en visio avec un magistrat, des enregistrements vidéos d’interrogatoire ou d’audiences ne sont pas des panacées.

Une de ces manifestations des rêveries enfiévrées d’énarques, qui ambitionnent avec une appli de téléphone de se dispenser de trouver plus de budget ou de réformer, est de solutionner les déficiences du système de plaintes grâce à internet. La plainte en ligne paraît peu coûteuse et efficace, et voilà qu’un jeune diplômé de 30 ans armé de son smartphone a ringardisé l’incompétente vieille garde. Les victimes plaignantes ne seraient plus sujettes à des délais et libérées des maladroits policiers, grâce au tout-puissant dieu-technologie.

Naturellement, il s’agit d’une plume de plus au chapeau des technocrates français, tels les révolutionnaires marxistes qui n’ont pas besoin de résoudre les problèmes matériels. Les putschistes russes ou chinois avaient juste besoin de la doctrine communiste. Les élites politiques françaises ont juste besoin de se croire tellement intelligentes qu’elles peuvent prendre le monde entier pour des idiots.

b. Les moyens neurasthéniques de la pré-plainte 

    La pré-plainte a été dotée de moyens neurasthéniques qui condamnent dans l’œuf tout espoir de réussite. Ces moyens sont bien insuffisants tant en termes de moyens budgétaires que de dispositif législatif.

La pré-plainte a un domaine d’application très réduit. Elle ne concerne que les atteintes aux biens et les faits discriminatoires. Les atteintes aux biens concernent le cambriolage, le vol, la dégradation, l’escroquerie… Les faits discriminatoires concernent la discrimination, l’incitation individuelle à la haine, les injures… 

Si vous trouvez que ce champ est plutôt large, il faut ajouter un détail. Elles ne concernent que les infractions dont la victime ignore l’identité de l’auteur, donc les « plaintes contre X ».

Penchons-nous sur le système de plainte en ligne que la loi du 23 mars 2019 de programmation de la justice prévoit pour 2023.

2. Le futur système qui ne servira à rien non plus

    Si un schéma ne marche pas ce n’est pas une raison pour ne pas  l’étendre (a), ce qui pose la question de l’illusion de la résolution technologique des problèmes (b).

a. La reproduction du schéma d’échec de la pré-plainte 

    La plainte en ligne aura son champ d’application réduit aux infractions contre les biens. Les crimes et délits graves en seront exclus. Donc il ne pourra pas s’agir d’un palliatif aux problèmes de plainte aux commissariats. Le législateur est bien conscient qu’il risque même de les empirer, puisque l’article 15-3-1 du Code de Procédure Pénale (C.P.P.) dans alinéa 3 sera chargé de l’éviter : 

« La plainte par voie électronique ne peut-être imposée à la victime. »

Il est sûr que tout ce dont les justiciables ont besoin c’est d’un motif de plus d’être éconduits.

Notons que malgré toutes ses restrictions la pré-plainte mise en place en 2013 a fini par connaître un succès colossal. Depuis 2019 elle a connu une explosion de 60% en un an, pour culminer à 925 616 en 2020. En vrac elle comporte atteintes juridiquement infondées, atteintes relevant du civil, et évidemment sortant du domaine d’application de la pré-plainte. Bizarrement les chiffres du traitement de ce succès impressionnant ne sont pas communiqués.

Qui va traiter ces masses de méta-données qui requièrent chez les Big-Tech comme Google ou FaceBook des ordinateurs à la pointe de la technologie et des milliers de personnels spécialisés ? Les fonctionnaires de police français sont déjà dépassés en équipement et effectif avec le flux actuel de plaintes matérielles. Si les chiffres actuels de la pré-plainte, avec son champ d’application infime, sont aussi importants, qu’en serait-il avec le champ bien plus large en 2023 ?

Curieusement, le législateur de 2019 a reporté la réforme en 2023, soit après l’élection présidentielle de 2022. Encore un grand succès qui porte la marque des génies du marketing politique, tout mettre sur le dos d’une autre administration.

Comment un progrès aussi logique que la plainte en ligne peut s’avérer si décevant ?

b. L’illusion de la résolution technologique des problèmes

    Le concept de la plainte en ligne ne résoudra pas les problèmes. Même après un dépôt de plainte, il faut un complément d’informations, recevoir la victime, s’assurer grâce à un entretien, que seul peut fournir un contact humain avec un professionnel compétant, que rien n’a été oublié. Les justiciables ne sont pas des techniciens du droit, ils n’identifient pas forcément la véritable infraction.

En ce qui concerne les atteintes et agressions sexuelles, le seuil psychologique peut sembler être franchi plus facilement. Mais ce serait une fausse solution qui risquerait bien vite d’être prise comme prétexte pour ne pas accomplir le vrai travail. Peut-être qu’un pourcentage des victimes se trouverait soulagée par cette solution, mais ce ne serait pas toutes les victimes.

Le seul déblocage véritable pour libérer la parole des victimes sera une action globale, par tous les moyens d’action du gouvernement. Formation dans les écoles sur le consentement et la procédure pénale. Formation de tous les policiers pour accueillir la parole des victimes. Création de services spécialisés dans certains commissariats. Reforme de la législation concernant la prostitution, car c’est chez ces justiciables que se trouvent celles et ceux le plus en but à ces délits. Il faut offrir une vraie protection institutionnelle aux travailleurs du sexe, quitte à déplaire aux lobbys dogmatiques qui prétendent faire disparaître la prostitution, en ne prenant aucune mesure légale la concernant. Campagne de communication nationale pour informer de tout cela l’opinion publique.

À quoi bon passer par la plainte en ligne pour pallier aux refus de plaintes, quand les refus sont entièrement dû aux consignes administratives internes ? Il suffit d’un claquement de doigt pour résoudre ce problème, par contre pour résoudre ceux de toute la chaîne pénale, il faudra un peu plus. Rationaliser la paperasse de la procédure pénale (tout acte digne d’être enregistré doit l’être trois fois). Augmenter considérablement tout le personnel judiciaire, huissiers et magistrats compris. Les équiper correctement, aujourd’hui nos juges doivent parfois payer leurs propres ramettes de papier. Revoir toute l’échelle des peines en se dotant de peines courtes. Privilégier, comme l’a enseigné le père italien du droit pénal moderne Cesare Beccaria, une sanction prompte à une sanction lourde incertaine.

Toutefois les réformes nécessaires à la procédure pénale française occuperaient un article entier. Concluons sur la plainte en ligne que, comme tous les outils électroniques, ils constituent un progrès naturel. Mais ce progrès ne constitue que la fourniture d’outils supplémentaires, qui ne remplaceront jamais les réformes de fonds indispensables pour résoudre les déficiences graves de la justice.

Passons sans plus tarder à une infime mais réelle solution à ces problèmes, une véritable connaissance des droits des justiciables.

II. La Formule Magique  : « Art. 15-3 C.P.P. » !

    Vous disposez d’un fusil chargez de deux munitions, la première est l’invocation « magique » de « l’article 15-3 CPP » (A) et la seconde l’invocation de Monsieur le Procureur de la République (B), dont la seule ombre suffira probablement à ébranler l’Officier de Police Judiciaire (OPJ) le plus obtus.

A. Abracadabra « Art. 15-3 CPP » !

    Le policier va chercher à vous dissuader de porter plainte (1) et il vous faudra lui résister. S’il durcit le ton, ce sera à vous de faire pression avec l’article 15-3 CPP (2).

1. Le policier fera pression pour vous dissuader d’insister

    Vous êtes devant un policier, vous avez attendu, parfois une journée entière. Vous avez peut-être eu un fonctionnaire de police qui vous a interrogé devant tout le monde sur ce qui vous amène, ce qui est un manque de considération totale envers vous.

Il vous a écouté, a posé des questions, et il se prépare à vous servir son laïus pour vous annoncer qu’il ne prendra pas votre plainte. Le style retenu dépendra  du degré de cynisme, de dégoût, de découragement et de flétrissement de son âme. Cette situation ne fait plaisir à aucun policier, il est vrai qu’ils croulent comme le reste de la société sous une pléthore de paperasses, mais ils demeurent pour autant des êtres humains qui préfèrent servir l’intérêt général pour lequel ils se sont engagés.

Un petit mot sur la misérable et scandaleuse situation de la police en France. Ils sont payés des clopinettes, manquent de moyens de façon honteuse, ils risquent leurs vies. Jamais dans toute la longue histoire de France la fonction de police a été aussi dangereuse, déconsidérée, dure. Les policiers sont en permanence insultés, ils ne sont pas respectés, pire, personne n’a peur d’eux, ce sont eux qui ont peur des délinquants. Ils sont découragés légitimement par l’impuissance de la justice qui relâche les suspects. Leurs hiérarchies leurs donnent des ordres pour ne pas accomplir leurs tâches (cet article en est un exemple, l’interdiction de poursuivre les délinquants à moto qui font du rodéo - de peur que ces crétins se tuent tous seuls lors de la poursuite - depuis les émeutes de 2007 à Villiers-le-Bel de peur de générer des émeutes en est une autre), la presse leur applique systématiquement une présomption d’abus de la force, les bonnes consciences françaises s’agenouillent devant la dérive américaine de diabolisation de la police, le propre gouvernement qu’ils servent les trahis de même. Cet article n’est pas une charge contre la police, que je plains sincèrement, mais contre le système qui les met dans une situation impossible.

Donc, le policier en face de vous va opter pour un discours plus ou moins méprisant ou condescendant en fonction de son humeur et ses états d’âme. Dans tous les cas il va vous mentir, ou du moins vous taire la vérité, ce qui revient au même. Il va vous dire que les faits ne correspondent qu’à une main-courante, que l’enquête ne mènera à rien...

Ne vous laissez pas non plus abuser par l’argument de la prescription de l’infraction qui a rendue forclose l’action (mis fin au droit de porter plainte). Après la commission de l’infraction, vous avez 3 mois pour les injures, 1 an pour les contraventions, 6 ans pour les délits, 20 ans pour les crimes, 30 ans pour les infractions concernant le grand banditisme et le terrorisme. Pour les mineurs au moment des faits, le délai démarre après leur majorité.

Donc l’on vous dit que l’infraction n’est pas constituée ou ne justifie pas votre plainte.

Vous avez été insulté, volé, agressé, escroqué, ou pire !

Le cas du viol est encore plus scandaleux, car aujourd’hui les policiers ne savent pas recueillir la parole de la victime. Les victimes de viols sont trop souvent traitées comme des coupables par le policier qui reçoit la plainte, il pose des questions sur la « provocation » aux relations sexuelles, il s’enquiert sans délicatesse du « consentement mutuel ». Il faut déjà un courage colossal à la victime pour déposer plainte, et bien des fois cet accueil inhumain aggrave le traumatisme et pousse la victime à abandonner toute velléité de justice, et offre l’impunité à l’auteur.

Donc, ne vous laissez pas faire. Je vous expliquerai dans un autre article comment constituer votre propre dossier de plainte, avec des notions de droit et de procédure pénale. Ne vous laissez pas intimidé par le ton agressif, pédant, condescendant, méprisant ou tout autre artifice employé contre vous pour vous décourager d’insister. 

Restez ferme, mais restez calme et maître de vous, respirez et posez votre voix. Indiquez que vous tenez à déposer cette plainte et que vous ne partirez pas avant que ce soit fait. À partir de ce moment là, si le policier cède tant mieux ! S’il monte en gamme, ce sera à vous de le surpasser avec l’argument massue.

2. À vous de mettre la pression au policier : « Article 15-3 alinéa 1 CPP !!! »

    L’article 15-3 du Code de Procédure Pénale est reproduit dans l’introduction de cet article, avec l’essentiel de ses alinéas 1 et 2. Le policier est tenu de prendre votre plainte, même si le commissariat n’est pas celui territorialement compétant, vous pouvez déposer plainte n’importe où. Toutes les questions de filtrage de la plainte relèvent du parquet qui seul en France a le monopole de l’opportunité des poursuites, le pouvoir de choisir de donner une suite ou non à votre plainte. La police se doit d’ouvrier une information judiciaire et d’obéir au procureur, sans avoir son mot à dire, donc tout argument concernant l’enquête pour vous dissuader est complètement fallacieux (comme vous faire du chantage en disant que si vous vous contentez d’une main-courante vous aurez droit à l’intervention et l’enquête de police). 

Produisez le discours suivant, vous pouvez vous entraînez chez vous, ou lire un papier, voire imprimer l’article 15-3 CPP et lire l’alinéa 1.

 « Monsieur (Madame ?), je vous prie de bien vouloir prendre ma plainte. En effet, l’alinéa 1 de l’article 15-3 du Code de Procédure Pénale prévoit que vous en avez l’obligation. Vous n’avez pas le choix, vous ne pouvez pas me le refuser, et tout autre comportement de votre part est illicite et engage votre propre responsabilité juridique. »

À ce niveau là, vous pouvez vous arrêter, et savourer les changements chamoirés de couleurs du visage du policier. Les policiers ne sont pas habitués à ce qu’un simple quidam (entendez non-avocat) le flagelle par des arguments juridiques. Respirez et attendez sa réaction.

Généralement le policier ne réalise pas bien qu’il vient de perdre la partie, et il est humainement compliqué de passer sans transition du dédain à la capitulation. Vous devrez certainement vous répétez, avec calme et assurance.

Apres être sorti maugréer, consulter sa hiérarchie, vous avoir fait mariner pour se venger, vous lancez quelques dernières remarques acerbes, il doit probablement vous concédez la victoire sur le terrain de ses obligations légales. Pour faire bonne mesure, exigez que soit coché la case qui indique que vous désirez bénéficier d’un suivi d’informations, relisez bien (et exigez toutes les corrections nécessaires, les préposés aux dépositions ne sont pas nécessairement de fidèles scribes de votre témoignage) et prenez votre temps même face à de la mauvaise humeur, n’oubliez pas de demander une copie du procès-verbal, qu’il ne peut vous refuser (alinéa 2). Apportez bien avec vous toutes les pièces de votre dossier. Tout ce que vous oublierez vous obligera à revenir en personne.

Mais la victoire sera parfois plus difficile, en cas de refus persistant, vous devrez jouer le second acte de cette tragi-comédie administrative.


B. Technique d’invocation : « Procureur de la République ! »

    Vous faites face à une opposition qui s’est considérablement durcie. Le policier est bien conscient qu’un avocat pervers a lâchement trahis les secrets bien gardés du grand public. Où va le monde ?

Il sait que vous êtes en mesure de lui faire du tort s’il s’entête, pourtant il a choisi de poursuivre le combat. C’est mauvais signe parce que le degré de mauvaise foi et d’hostilité vient de bondir en flèche, et vous êtes franchement en face d’un policier très énervé contre vous, ce qui n’est jamais très agréable.

Toutefois, il faut tenir, et frapper encore plus fort !

N’oubliez pas de respirer et de juguler la tension, car cette séquence se passera forcément à un haut degré de stress. Vous jouez votre droit à la justice, l’échec n’est pas permis.

Voici les arguments que vous pouvez dérouler. Encore une fois, n’hésiter pas à sortir un papier imprimé et le lire. Essayez crescendo vos arguments les uns après les autres.

1) Je ne sortirai pas d’ici sans que ma plainte soit dûment enregistrée.

2) Je veux voir votre supérieur !

3) Je veux noter votre numéro d’immatriculation administrative.

4) Si vous ne faites pas droit à ma demande, je vais me plaindre de vous en en référant au Procureur de la République.

Évidemment tout cela peut échouer, auquel cas il faudra purement et simplement mettre votre menace à exécution ! Selon le lieu où vous habitez écrivez au Procureur de la République du tribunal judiciaire dont vous dépendez, « Je soussigné… ai l’honneur de vous faire part des faits suivants ». Mentionner le jour, l’heure et tous les détails. Mettez tous les éléments de votre dossier et envoyez votre lettre.

Voici le lien pour déposer plainte directement en ligne auprès du Procureur de la République :

https://www.service-public.fr/simulateur/calcul/Porter_plainte

Mais si vous en arrivez là contactez-moi, je serai heureux d’être mis au courant.

Conclusion 

    Le dépôt de plainte est le début de la chaîne pénale, s’il est lui-même malade, tout le reste est contaminé.

Edmund Burke, homme d’Etat Irlandais contemporain et critique  très pertinent de la Révolution française, a dit : « La seule chose qui permet au mal de triompher est l’inaction des hommes de bien ». La seule chose qui permet à l’horrible scandal du refus de plainte de perdurer est que personne n’en parle. Personne ne peut dans un même temps se plaindre d’une iniquité et dans le même temps s’abstenir d’en parler. Quelques soient les dysfonctionnements d’une démocratie, ses citoyens vivent toujours dans la société qu’ils méritent.

Désormais vous êtes au courant, vous savez pourquoi on en est là, comment y pallier quand cela arrive. Il suffit qu’il y ait suffisamment de personnes qui s’emparent de ce sujet pour que l’opinion publique fasse immédiatement changer le système. Et en attendant qu’un jour inévitablement cela arrive, chaque voix qui s’y ajoute y contribue. Et quand bien même ce ne serait pas le cas, ce savoir est indispensable à chacune et chacun, car même si nous ne sommes pas personnellement touchés, nous connaissons tous quelqu’un qui peut l’être.

Je vous remercie pour votre lecture et votre attention. Le prochain article de la section droit concernera la constitution du dossier de plainte, avec des conseils pratiques de droit et de procédure pénale.

Sapere aude ! Osez savoir !

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